Pierre entre dans la salle pour la première
réunion de ce nouveau groupe de travail. Il est essoufflé
et en sueurs même s'il est en avance. D'un coup d'oeil il trouve
une place libre et s'empresse d'y déposer ses documents. Mine de
rien, il jette des coups d'oeil furtifs aux autres. Il cherche à
se donner une contenance pour que personne ne puisse voir combien il est
tendu. Ses gestes sont saccadés et maladroits, sa posture est rigide,
ses mains sont moites, il a la bouche sèche. En ce moment, il n'aspire
qu'à une chose: survivre à cette première réunion.
Lorsque Julie arrive, elle s'arrête, jette un regard sur les personnes
déjà présentes et sourit aux deux personnes qui répondent
à son regard. Pierre n'est pas de ceux-là; il l'examinait
du coin de l'oeil, mais s'est empressé de regarder dans la direction
opposée lorsqu'elle s'est tournée vers lui. Il s'en veut
aussitôt, mais il voudrait quand-même être invisible.
Lorsque Julie vient s'installer à côté de lui, il est
tellement embarrassé qu'il en échappe son crayon. Comble
de malheur, elle lui parle: "Bonjour, je m'appelle Julie, je travaille
à la comptabilité. Je me demande bien pourquoi on nous a
réunis. Le savez-vous?" Maintenant, Pierre est terrorisé!
Il veut répondre, mais aucun son ne sort de sa gorge. Il se demande
quoi dire, quoi faire de ses mains, comment avoir l'air dégagé.
Il sait qu'il ne réussira pas, comme d'habitude... Heureusement,
la réunion commence immédiatement; sauvé!Pendant la
première partie de la réunion, Pierre n'arrive pas à
être attentif. Il est trop occupé à s'en vouloir d'avoir
bafouillé. Il envie l'assurance de Julie. Il la trouve chanceuse
d'être aussi complètement à l'aise, d'avoir parfaitement
confiance en elle et de réussir ainsi sans effort. Après
une heure à peine, il constate que Julie devient déjà
une personne importante dans le groupe alors que lui n'a pas encore ouvert
la bouche et ne sait pas trop de quoi il est question. Comme dans les autres
comités dont il a fait partie, Pierre se dirige vers un échec
humiliant. Il ne sera qu'un figurant aussi silencieux que possible. Lorsqu'il
ne pourra pas éviter d'émettre une opinion, il s'en tiendra
à un point de vue vague, aussi proche que possible des opinions
des autres. Pourquoi?On peut certainement dire que Pierre n'a pas confiance
en lui-même. C'est vrai, mais incomplet. On pourrait tout aussi bien
dire que Pierre prend tous les moyens pour éviter d'avoir confiance
en lui: il fait exactement tout ce qu'il faut pour saboter ses chances
d'augmenter sa confiance. C'est également vrai, mais beaucoup plus
important, car cette vision laisse entrevoir une solution. Le but de cet
article est de faire comprendre comment on peut changer ce genre de situation:
comment on peut transformer cet échec destructeur assuré
en un tremplin créateur de confiance. C'est beaucoup plus facile
qu'on peut le croire, vous verrez.
Du point de vue de Pierre, la confiance en soi
est une chose assez magique et plutôt injuste. Il trouve que Julie
a la vie très facile: elle est à l'aise et sûre d'elle-même
sans avoir à faire quoi que ce soit pour l'obtenir. Il suppose que
c'est dû à son éducation et à son milieu familial
lorsqu'elle était enfant. Il croit que s'il avait été
davantage supporté et encouragé par ses parents il serait
comme Julie: tout serait facile et il aborderait les situations avec une
assurance inaltérable .Mais la réalité est moins simple.
Julie aussi est dans une situation nouvelle et ne connaît personne.
Elle est nerveuse comme Pierre, mais elle choisit de créer le contact
La différence principale entre nos deux membres du comité,
c'est donc la stratégie qu'ils ont adoptée pour vivre cette
situation nouvelle; l'un évite les contacts alors que l'autre les
établit pour se rassurer. Dès que ce choix est fait, on peut
prédire à coup sûr qui réussira à faire
de ce groupe une expérience enrichissante et qui en sortira avec
une image négative de lui-même. Julie a décidé
que la façon la plus facile d'être à l'aise, c'est
d'être aussi naturelle et ouverte qu'elle le peut. Elle ne cherche
pas à dissimuler sa nervosité; elle la transforme en action.
Elle ne cherche pas à apparaître "au dessus de ses affaires",
elle se sert même de son inconfort comme sujet de conversation pour
aborder Pierre. Pour elle, sa nervosité est justement une bonne
raison d'aborder les gens; elle sait que c'est ainsi qu'elle fera disparaître.
Elle ne cherche pas à impressionner les autres, elle cherche à
utiliser cette situation pour connaître de nouvelles personnes et
pour apprendre à travailler en groupe. Avec de tels objectifs, elle
réussira certainement. Pierre, de son côté, a choisi
de dissimuler son malaise et de se taire tant qu'il n'aura pas quelque
chose d'assez brillant à dire pour impressionner tout le monde.
En faisant ce choix, il se condamne à l'échec, car ses exigences
sont irréalistes et sa tactique de dissimulation le paralysera à
coup sûr
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